« Les technologies numériques gagnent à rester à leur juste place : des outils porteurs certes de potentialités mais aussi de limites qu’il s’agit de ne pas ignorer si on veut s’assurer que leur déploiement soit mis au service des citoyens en tout équité. » C’est le préambule à la troisième édition du baromètre de l’inclusion numérique de la Fondation Roi Baudouin. L’étude place le taux de connexion et de compétences (numériques) des belges dans la moyenne européenne et jette un éclairage interpellant voire inquiétant sur le peu d’attention que les internautes ont pour leur sécurité en ligne. Sans surprise, elle confirme le lien étroit entre les revenus et le niveau de formation et les seuils de vulnérabilité numérique.
94% des ménages belges sont connectés
En Belgique comme ailleurs, la numérisation suit son long cours. Les chiffres 2023 de Statbel indiquent un taux de connexion des ménages belges de 94%, une hausse de 2% depuis 2021. Pour mémoire, il était de 77% en 2011. Les revenus restent le marqueur différenciateur le plus important. Ainsi en Wallonie, une famille sur 10 vivant dans la précarité financière n’a pas de connexion Internet à la maison tandis que les autres tranches de la population sont connectées à 99%. Et 1 usager sur 4 vivant dans un ménage disposant de moins 1400 € par mois utilise uniquement le smartphone pour se connecter à Internet, ce qui est susceptible de limiter la diversification des usages, notamment au niveau d’opérations plus complexes comme remplir sa déclaration ou prendre un rendez vous médical en ligne.
4 belges sur 10 en situation de vulnérabilité numérique
En 2023, 4 personnes sur 10 de 16 à 74 ans en Belgique (40%) demeurent en situation de vulnérabilité numérique, soit parce qu’elles n’utilisent pas Internet (5%), soit parce qu’elles possèdent de faibles compétences numériques générales (35%). Ce chiffre est rapporté à 45% en Wallonie pour 39% en Flandre et 36% à Bruxelles Capitale. Si l’on ventile ces chiffres par tranche d’âge, on obtient un seuil de vulnérabilité global de 32% (16-24 ans), 34% (25-54 ans) et 55% (55-74 ans). Le niveau de diplôme demeure, sans surprise, significatif. En 2023, près de 7 personnes sur 10 (68%) détenant un diplôme de secondaire inférieur sont vulnérables dans un environnement numérisé soit parce qu’elles n’utilisent pas Internet (14%) soit parce qu’elles disposent de faibles compétences (54%).
Fragilisation des familles monoparentales
On observe une forme de fragilisation de la situation des familles monoparentales par rapport à 2021. Plus de 4 personnes sur 10 (42%) vivant seules avec des enfants sont désormais dans ce cas (+4 %) dont la majorité en raison de faibles compétences numériques (39%). Cette situation les rapproche de celle des personnes isolées dont la part des individus vulnérables, elle, diminue de 11% depuis 2021 portant cette proportion à 44 % en 2023.
Précarité et accès aux services essentiels
A ce niveau se pose la question de l’accès aux services essentiels, ceux liés à l’administration, la santé, la banque et le commerce en ligne dont leur faible ou leur non utilisation est susceptible de générer des non recours aux droits. Plus d’un quart des usagers aux revenus modestes (26%) n’utilisent pas l’e-banque, contre 1 sur 10 (10%) parmi les usagers plus aisés sur le plan financier. De même la part des non utilisateurs de l’e commerce parmi les usagers aux revenus modestes atteint 31%. C’est le triple que parmi leurs homologues les plus riches (10%). Notons finalement que plus de la moitié des usagers disposant de revenus modestes (51%) n’utilise par les services en ligne de santé contre environ un quart (26%) des plus aisés financièrement.
Pour des alternatives qualitatives au numérique
« Lutter contre les inégalités numériques », commente la Fondation Roi Baudouin, « exige d’une part que les secteurs publics, privé et social continuent de s’engager pour une plus grande inclusion numérique. Cela passe par des investissements dans des services en ligne privés et publics accessibles à tous, par le renforcement des compétences numériques, par l’assistance et le soutien aux personnes numériquement vulnérables. D’autre part, l’évolution lente des chiffres montre clairement que, pour garantir l’accès aux droits fondamentaux de tous les citoyens, des alternatives qualitatives aux services numériques, comme les contacts en face à face ou téléphoniques sont nécessaires et resteront indispensables. »
Rien à cacher, tout à donner?
En parallèle de l’inclusion se pose enfin la question de l’autonomie voire de l’émancipation numérique. L’étude de la Fondation Roi Baudouin fait un constat: 28% des usagers ne possèdent aucune compétence en matière de sécurité en ligne. Celle nécessaire pour contrôler si un site web est sécurisé, pour contrôler et limiter la collecte des données, gérer les invites à la localisation géographique, limiter l’accès au contenu d’un profil personnel ou encore refuser la collecte de données à des fins publicitaires C’est à peine 2% en moins qu’en 2021! « Ce qui signifie qu’une en fois en ligne, ces personnes sont exposées à un risque accru de traçage et de surveillance de leurs activités en ligne pouvant guider insidieusement leurs conduites ainsi qu’à un risque de vol de leurs données personnelles. Moins de 3 usagers sur 10 (26%) déclarent être réellement préoccupés par cet enjeu. « Or, commente sur la VRT Périne Brotcorne, co-autrice de l’étude, pouvoir naviguer sans être guidé par des algorithmes, c’est là que se situe la véritable autonomie ».
Crédit photo Pexels Sarah Chai