Voici 2 ans maintenant qu’en France, les Assises de la Médiation Numérique ont laissé la place aux Communs. Comme partout, comme chez nous, le cadre dans lequel évolue les acteurs de la citoyenneté et de l’inclusion numérique bouge. La dématérialisation des services (publics) pose de nouveau la question de la fracture numérique. La simplicité des accès à Internet se double d’une complexité croissante des usages. Bref le métier change. Mais bon, ce n’est pas nouveau. Voici une vingtaine d’années qu’il s’invente au jour le jour.
Elargir le champ
C’est à Marseille, tout près du Vieux Port, que la communauté des EPN a redit, à l’occasion du colloque Numérique en Commun 2019, sa volonté d’élargir le champ de la médiation numérique aux nouveaux entrants, sous réserve de rester fidèle au projet initial d’un numérique ouvert, démocratique et accessible à tous. Durant 2 journées, les 17 et 18 octobre derniers, plus de 800 personnes ont investi les espaces du World Trade Center, le Musée d’Histoire de Marseille et le MarsMedialab, Les lieux n’ont pas été choisi au hasard: un centre d’affaires, un musée et un espace d’expérimentation et de fabrication dédié aux humanités numériques. D’autres murs, d’autres gens, d’autres métiers. Ici se croisent et se décroisent des animateurs multimédias, des médiateurs numériques, des gérants de tiers lieux, des activistes, des universitaires, des élus et des fonctionnaires.
Opération Chutney
Emmanuel Vergès, Ingénieur et docteur en information communication: « Aucune organisation ne peut résoudre, seule, l’équation d’une société numérique inclusive, innovante, écologiquement responsable et économiquement soutenable. Ces transformations digitales que l’on mène du bout de nos doigts ne dépendent pas d’un seul acteur ni d’un seul secteur d’activités. » MedNum, la coopérative des acteurs de la médiation numérique et la Mission Société Numérique, une émanation de l’État qui a vocation à accompagner la transition numérique des territoires en matière d’usage, d’accès aux droits et de services, ont décidé d’ouvrir le champ de la médiation aux acteurs émergents. L’année passée, 63% des 850 participants à la première édition du colloque Numérique en Commun porté par ces 2 structures n’étaient jamais venus aux Assises Nationales de la médiation numérique. L’objectif de cette opération Chutney? Faciliter un espace d’échanges et de coopérations entre des communautés qui partagent les mêmes intuitions quant aux solutions pour un numérique « équitable ».
Un métier qui s’invente
Car il s’agit bien d’intuitions. Voici une vingtaine d’année que Jacques-François Marchandise, aujourd’hui délégué général de la FING, la Fondation Internet Nouvelle Génération, évolue dans le monde de la médiation numérique. « Voilà 15 à 20 ans que nous inventons au jour le jour notre métier de médiateur numérique. On est en permanence devant une page blanche. D’où l’intérêt de ce type de rencontre qui nous permet d’avoir un cadre d’échange, de réflexion pour comprendre ce qui est en train de se passer et ce que nous sommes en train de faire. »
Des précaires qui aident les précaires
Jacques-François Marchandise: « Je dirais de la communauté des médiateurs numériques qu’elle est fragile et persévérante. Une grande partie de ses membres sont des anciens emplois jeunes qui ont pris le tournant du numérique. Certains ont réussi à pérenniser leur emploi. Mais cela a été et c’est encore souvent des précaires qui aident les précaires. Et ils sont soutenus à l’intérieur des collectivités par des acteurs qui sont eux mêmes dans une position assez précaire. Il a suffit par exemple que des gens changent de job pour qu’une politique territoriale soit zappée ou qu’il n’y ait plus de ministère pour s’en occuper. Et donc on est devant un public fragile qui s’occupe de gens fragiles avec une sacrée résilience. La plupart d’entre nous n’ont appris presque nulle part leur métier, sauf en le pratiquant et en échangeant comme nous le faisons aujourd’hui. Avec de nouveaux acteurs on le voit. La communauté est en train de s’élargir: on y trouve des informaticiens, des travailleurs sociaux, des acteurs de grandes entreprises, des gens qui sont sans doute dans une situation plus perenne et c’est tant mieux. J’ai l’impression qu’il s’agit aujourd’hui de mûrir ensemble avec à mes yeux une exigence et un objectif communs: agir plutôt que subir. »
Agir plutôt que subir
Jacques-François Marchandise « On en a assez d’être complètement écrabouillé par le numérique. Par l’infobésité, cette montagne d’information qu’on ne sait pas traiter, ou par l’innovation continue et jetable, dont on nous dit qu’elle va trop vite. J’observe le numérique depuis de longues années. Je suis en mesure de vous dire que cela ne va pas si vite que cela. Cela va beaucoup moins vite qu’on ne le dit. L’accélération a toujours été une dialectique industrielle visant à qualifier ceux qui sont en avant, ceux qui sont en retard et à faire le tri. Il faut arrêter de donner prise, de dire que le numérique est en train de nous tomber sur la tête. »
#Reset : quel numérique voulons-nous ?
« Il faut arrêter de penser qu’il y a une fatalité, que nous allons baisser le nez devant les Big Tech, que nous allons accepter l’idéologie du numérique comme solution à tout. Ce que nous défendons, c’est un numérique où l’on est acteur. Nous avons lancé en janvier dernier #Reset, un programme collectif à vocation d’impact d’une durée de 3 ans. Nous voulons, à court et moyen terme, arriver à construire des coalitions d’acteurs qui vont être porteurs à la fois de travaux sur les usages, sur l’offre numérique et sur la commande elle même. Nous voulons porter à l’agenda public différentes priorités. Par exemple, ce serait quoi dématérialiser sans déshumaniser? Ce serait quoi avoir des Civec Tech qui sont à la hauteur de l’enrichissement du débat démocratique et de la confiance qu’on pourrait leur faire ? Ce serait quoi introduire des principes communs du côté de l’environnement et du côté de l’inclusion dans l’achat public. Ce serait quoi de développer une culture de la donnée qui soit au service des choix environnementaux par exemple ou de l’éducation à l’environnement.? »