Des deniers publics pour financer les Civic Tech?

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Alors que la volonté d’impliquer les citoyens dans la conduite de la cité augmente de jour en jour par la pression des manifestations et leurs relais dans les réseaux sociaux, on ne connaît pas en Wallonie d’initiatives publiques de développement propre de technologies numériques citoyennes. Il serait pourtant dommage de cantonner les services publics à un simple rôle de simplification administrative. La question du modèle de financement des Civic Tech a été mise sur la table lors de la journée à Paris en mars dernier consacrée aux Civic Tech & de l’engagement citoyen organisé par le think tank Décider ensemble.

Accélérateur d’innovations technologiques citoyennes
Avec Romain Slitine et Elisa Lewis, Aurore Bimont est la co-fondatrice de l’incubateur Système D développé par l’association Démocratie Ouverte. Installé depuis depuis 2016 dans l’espace de co-working des Halles Civiques à Paris, cet accélérateur d’innovations démocratiques mixte réflexion politique critique et appui technique pointu pour faire mûrir des projets comme Keisen, une technologie de cryptage blockchain pour sécuriser les systèmes de vote en ligne, United4Earth, une plate-forme open source de coordination et d’organisation de campagnes en ligne ou Framaligue, un un projet d’éducation populaire numérique à destination des associations. « Je suis convaincue », explique-t-elle, « que ces innovations citoyennes et démocratiques sont porteuses d’espoir et de solutions pour notre démocratie. Pourtant, elles sont terriblement en manque de moyens financiers même s’il existe quelques appels à projet et quelques acteurs qui essaient de la soutenir. »

L’enjeu du renouvellement démocratique
Aurore Bimont: « Prenons un instant pour comprendre pourquoi il est important et fondamental de soutenir et développer l’innovation citoyenne et démocratique. Depuis fin octobre avec la crise des gilets jaunes, on voit bien que notre démocratie vacille. Pas seulement au niveau institutionnel mais aussi dans ses fondements. En fait c’est notre capacité à dialoguer, à se faire confiance, à partager une réalité commune qui est fragilisée. L’enjeu du renouvellement démocratique est profond. Nous avons une responsabilité collective à redesigner ensemble nos organisations et nos institutions. » Pour Aurore Bimont, les Civic Tech sont une des voies possibles. « La Civic Tech va bien au-delà de la simple remontée de la parole du citoyen. C’est plus large et ambitieux. Elle nous nous invite à réinventer nos institutions en imaginant de nouveaux dispositifs comme le rite délibératif, les assemblées citoyennes, ou encore le scrutin à jugement majoritaire. »

Plus de coopération et d’intelligence collective
« Au delà même du champ institutionnel, l’innovation citoyenne nous invite à redynamiser le tissu démocratique en profondeur en redonnant au citoyen du pouvoir d’agir sur son territoire. Des mouvements comme Tous Elus ou l’Université du Nous illustrent ce nouveau champ d’action. Face aux grandes menaces comme le changement climatique et l’effondrement de nos éco systèmes, les innovations citoyennes et démocratiques nous offrent, à leur échelle, des solutions pour rendre nos organisations plus résilientes en y intégrant plus de coopération et d’intelligence collective. »

Pas de financement structurel
« Si l’on n’a jamais eu autant besoin de développer cet écosystème, il n’existe pas encore de financement structurel de l’innovation citoyenne et démocratique. Pour l’instant, on a le choix entre deux modèles. Celui non lucratif tout d’abord. Par éthique, par cohérence, parce que la la démocratie n’est pas un business. Malheureusement, les appels à projet sont sporadiques et la philanthropie n’existe quasiment pas encore dans ce secteur. Face à ces obstacles, des innovateurs, qui eux aussi poursuivent l’intérêt général, choisissent le modèle classique de type entreprise. Comment s’assurer que certains de ces innovateurs/entrepreneurs ne seront pas contraints de se plier aux desiderata d’investisseurs privés, de suivre les lois du marché et/ou de revendre leur outil à des géants du numérique. Comment avoir la garantie que c’est bien, sur le long terme, l’intérêt général qui est recherché? »

Pour un fonds public de financement des Civic Tech
Pour Aurore Bimont, il faut privilégier les modèles hybrides comme les coopératives ou l’Open Data. « Mais là encore les investisseurs sont assez rares et les financeurs frileux. Ce qui fait dégaut, c’est à la fois des financements publics qui permettent aux Civic Tech de financer leur développement et une structuration de cet éco système qui donne confiance aux philanthropes. » D’où la proposition d’Aurore Bimont de la création d’un fonds public indépendant pour l‘innovation démocratique et citoyenne qui permettrait ensuite de stimuler le co financement privé et responsable. « Ce fonds serait abondé par un mécanisme qui serait le pendant du mécanisme du financement des partis politiques et gouverné par une diversité de parties prenantes: pouvoirs publics, représentants de la Civic Tech, chercheurs, fondations et associations, corps organisés de la société civile. On peut pour cela s’inspirer du Prototype Fund, un exemple allemand très inspirant. »