C’est en 2016 que le lancement de la startup sociale WeTechCare, qui fait partie du mouvement français Emmaüs, a été financée à hauteur de 1 million € par Google.org, la branche philanthropique de Google. Objectif: utiliser le numérique comme levier d’insertion pour 1 million de personnes d’ici cette année. En 2019, cette stratégie a conduit à la mise en place d’une filiale belge et de contenus de formation et d’accompagnement en ligne adaptés à la réalité de notre territoire. En septembre dernier, WeTechCare a publié un rapport sur les nouveaux usages du numérique que la crise sanitaire a provoqué dans le monde social. Centré sur la réalité française, celui-ci ne se penche pas sur la façon dont la perception et l’utilisation du numérique a évolué dans le chef et les pratiques des acteurs sociaux belges durant la première vague du Covid. Reste que ses principaux constats sont autant de pistes de réflexion.
Le confinement accélère le virage numérique
« Voir un travailleur social derrière son écran en train d’enregistrer ou le voir en face à face autour d’une table, ça impacte quelque chose dans la relation ». C’est WeTechCare, dans une étude précédente réalisée sur le sujet en avril 2016, qui citait ainsi une salariée du Centre Communal d’Action Sociale de Ville Paris 9e. Avec le confinement, la question s’est réglée brutalement et le numérique a été, pendant plusieurs mois, le support quasi exclusif du tissu social. « On a observé, continue WeTechCare, « la recrudescence de besoins numériques de premier ordre. L’équipement et la connexion tout d’abord, dont on pensait qu’il s’agissait d’un problème réglé. La sensibilisation en second lieu, ou comme rassurer les usagers et leur montrer l’intérêt de se former aux usages numériques. L’information, enfin, sur les structures relais à destination des personnes éloignées et isolées qu’il était impossible de toucher. »
Contraints et forcés
Sur le papier (enfin plutôt sur l’écran), la donne change donc, tant pour les travailleuses/rs du social que pour leurs publics. « Pour beaucoup de personnes suivies par le monde social, le numérique n’est plus désormais uniquement une interface nécessaire pour l’accès aux droits mais bien un outil aux potentialités fortes de lien social, d’éducation et d’information. Avec la réouverture des lieux d’accueil, le monde social retrouve ainsi des publics davantage motivés à maîtriser le numérique. » Mais c’est sans doute à leur cœur défendant, comme le souligne Périne Brotcorne citée dans le rapport: « En ce qui concerne la motivation des publics, ils se sont retrouvés dans un contexte de forte contrainte, encore pire qu’avant le confinement, un contexte de dépendance accrue au numérique. Parler de motivation me dérange. La crise va être un accélérateur du tout numérique, mais sans la liberté de choix. »
Mon centre social à la maison
Dans la mesure du possible, il a fallu maintenir l’activité. Comment? Il y a la mise en place, pour les structures qui n’en disposaient pas encore, d’un site web afin de se rendre plus joignable. Et/ou en assurant une permanence (téléphonique ou en ligne) et de la production de contenus sur les réseaux sociaux. A retenir également l’activation dans la Métropole lilloise de la plate-forme « Mon Centre Social à la maison« . L’initiative s’appuie sur le projet «Centres Sociaux Connectés» lancé en 2017 par 8 centres sociaux lillois et financé par le Fonds Européen de Développement Régional à concurrence de 679 999 €. Il s’agit habituellement d’accueillir les habitants dans les centres pour les accompagner dans leurs démarches administratives en ligne. Mais avec l’épidémie, les équipes ont dû s’adapter.
Maintenir le lien social
Florian Soudain, coordinateur, dans l’édition numérique du 4 avril du Journal de l’animation, sous la plume de Florent Contassot: « La plate-forme « Mon centre social à la maison » est apparue en 3 jours pour répondre aux problématiques soulevées par la fermeture des centres sociaux connectés de la métropole lilloise. Nous devions maintenir le lien social, pallier aux besoins des familles souvent monoparentales, qui n’ont pas d’extérieur et qui parfois sont en difficulté face au numérique. Nous avons donc vite retravaillé, à cette fin, une plateforme destinée à un autre projet. « Mon centre social à la maison » est entre autres une plate-forme de ressources éducatives et de loisirs. On y recense des tutoriels pour développer ses compétences numériques mais aussi des sites pédagogiques que nous avons testés. »
Produire du contenu pour les habitants
« On y propose également des activités originales pour les familles. Au début, nous avons organisé des défis puis ensuite présenté des activités vidéo réalisées par des animateurs ou des partenaires. La semaine dernière, nous avons amorcé les ateliers thématiques à heure fixe autour de la magie, de l’apprentissage de l’anglais, du sport, du coloriage… » Ainsi continue Florian dans le rapport de WeTechCare, « les travailleurs sociaux ont-ils pris conscience de l’importance de maintenir un lien social grâce au numérique. Au bout de 6 semaines, ils ont créé eux mêmes des contenus pédagogiques à destination des habitants. »
Et ceux qui sortent des radars?
Reste l’éternelle et épineuse question de celles et ceux qui deviennent invisibles, comme le souligne la revue Alter Echo dans son édition de juillet: « Pendant le confinement, nombre d’acteurs sociaux ont voulu garder le contact avec leur public. De la bonne vieille lettre aux visioconférences en passant par WhatsApp. Tous les moyens furent bon. Le souci: les bénéficiaires ne sont pas égaux face au numérique. Alors certains disparaissent des radars. » C’est eux que l’Asbl Le Piment a mis en lumière en récoltant des témoignages de ses stagiaires, avec lesquels le lien a été en partie rompu pendant le confinement, et en en publiant la vidéo sur Facebook. Affaire à suivre, comme on dit