Campagne Lire et Ecrire: l’illettrisme et le numérique ne font pas bon ménage

Selon Lire et Ecrire, aujourd’hui, en Belgique, 1 adulte sur 10 a des difficultés à lire et écrire un texte simple de la vie quotidienne et rencontre des problèmes d’accès et d’utilisation des langages numériques. Avec la crise du Covid, ces publics déjà fragiles ont vu se couper les uns après les autres les ponts de la vie réelle. Comment envoyer un mail lorsque l’on a des problèmes avec l’écrit? Comment prendre un rendez-vous médical sur une plate-forme en ligne? De nombreux acteurs de première ligne tirent le signal d’alarme. L’association le Piment parle de naufragés du numérique. Le réseau Lire & Ecrire d’oubliés. C’est à Rosa, un personnage de fiction qui s’est incarné en 2017 pour dénoncer les effets nuisibles des politiques d’activation sur les apprenants alpha, que Lire et Ecrire a confié la mission, une fois encore, de mettre en scène leurs difficultés.

Rosa fait un pas de côté

Rosa prend le bus, Rosa cherche un emploi, Rosa se rend à la commune, Rosa veut aller chez le médecin. 4 spots courts conçus par l’agence Graphoui (déjà auteure des courts métrages « Plongée en absurdie » et « La vie en rose« ) dans le cadre de la campagne lancée début septembre par Lire et Ecrire. Pleine de ressources, mais utilisatrice peu lettrée du numérique, Rosa est obligée de faire un pas de côté au moment où les droits de base comme l’accès aux soins de santé, aux services publics, la mobilité ou l’emploi sont conditionnés par l’utilisation d’un écran et d’une application.

Le numérique passe par l’écrit

Cécilia Locmant, chargée de mission et responsable de campagne: « Rosa, c’est un personnage qui fonctionne bien en fait. On utilise beaucoup ses films en animation et en sensibilisation. C’est quelque chose qui a marqué les esprits. Même si nos campagnes ne vise pas nos bénéficiaires, mais le grand public, il est resté gravé dans leur mémoire. Les apprenants parlent toujours de Rosa. Du coup, on s’est dit qu’on allait de nouveau faire appel à elle pour personnifier leurs difficultés en mettant en scène une Rosa en prise avec l’exclusion numérique. Ce n’est déjà pas évident en temps normal mais avec la Covid, tout s’est amplifié, tout s’est accéléré. Nous avons essayé de garder le contact avec les apprenants durant la crise. C’est très compliqué de travailler avec eux à distance parce qu’ils n’ont pas les outils, parce que les connexions sont chères et parce que le numérique passe par l’écrit. Mais cela va bien au-delà de la formation. »

Les oubliés du numérique

« Au delà de celle-ci, bien sûr, on a pris de leurs nouvelles. On leur a demandé comme ils allaient. Ils ont vraiment vécu cette période de façon très très difficile, ils ont été isolés. Déjà ce sont des publics précarisés, certains avec des besoins d’aide alimentaire. Les CPAS ont gardé des antennes de contacts mais pour ce qui est des démarches administratives, pour remplir leurs dossier Forem ou Actiris, tout est devenu plus compliqué. Que ce soit l’accès à la santé, à la mobilité, à l’éducation: ils ont vu se dresser devant eux une barrière de plus: celle du numérique. » C’est le sujet de la campagne les oubliés du numérique.

Cas vécus

« Les scénarios de Rosa sont basés sur des situations réelles que nos régionales ont récoltées pour alimenter la campagne 2020. L’un des spots parle du service population de la commune. C’est du vécu. Il y a un apprenant dont la femme a eu un bébé. Il ne savait pas comment déclarer la naissance. On lui a dit d’envoyer un mail. Sauf qu’il ne sait pas se débrouiller avec la messagerie. On a un peu forcé le trait dans Rosa pour que cela percute mais les situations sont véridiques. En Wallonie par exemple, pour le volet mobilité, le TEC n’affichait pas les nouveaux horaires dans les stations. Il fallait allez voir le site. C’était en permanence ce renvoi vers un univers dématérialisé. »

Canal Facebook

Pour le format de sa campagne, Lire et Ecrire a ciblé le canal réseau social -lisez Facebook. « Les 2 courts-métrages faisaient de 3 à 4 minutes. Ici, on a adapté le format au réseau social avec des spots extrêmement courts, de l’ordre de la cinquantaine de secondes et on a acheté de la diffusion à Facebook. On a chargé les responsables de sensibilisation de toutes nos régionales de recueillir des témoignages de ces difficultés et on s’est tourné vers notre agence pour remettre en scène Rosa. Le montage s’est terminé fin août pour un lancement au moment de la journée internationale de l’alphabétisation, le 8 septembre. »

Guichet d’accueil, tarif social, matériel à disposition

L’objectif de la campagne porte sur 3 revendications du mouvement Lire et Ecrire. Cécile Locmant: « Garder un guichet d’accueil physique dans les services publics et d’intérêts généraux, proposer un tarif social pour le téléphone et l’internet et mettre à disposition de tout le public fragilisé du matériel. Pas un smartphone. Avec les démarches qu’ils doivent faire, il faut un ordinateur. »

Faire remonter la question au niveau européen

Dans le prolongement de la campagne, Lire et Ecrire va lancer fin 2020 des Webinaires sur 3 thématiques touchant à l’illettrisme: sa définition, son ampleur et la nature de ses publics. « On va interroger différents opérateurs alpha: des suisses, des canadiens, des français. Voir quels types de dispositifs ils mettent en place, s’ils procèdent à des recensements et comment, quels enjeux ils mettent sur la table pour les prochaines années; comment ils embrassent la question de la littératie numérique des publics en difficulté de lecture et d’écriture. A partir de ces portraits et de ces analyses, on peut imager faire remonter du contenu, des propositions et des priorités sur le plan politique au niveau européen. »