Comment estimer le taux d’équipement des belges et leur niveau d’inclusion numérique? Jusqu’à présent par petites touches, en se référant pour la Région wallonne au baromètre de la maturité numérique de l’AdN et, pour le Fédéral, aux chiffres de Statbel. « Des outils précieux », explique Quentin Martens, senior coordinateur de projet à la Fondation Roi Baudouin », mais qui ont vocation à couvrir un spectre beaucoup plus large que l’isolement numérique. Notre étude, ce sont 51 pages qui se concentrent exclusivement sur l’inclusion numérique. Elle a pour but d’objectiver la situation, de chiffrer le phénomène et de permettre d’en suivre l’évolution. »
4 belges sur 10 en risque d’exclusion numérique
La photographie réalisée par les 2 chercheuses Périne Brotcorne (Cirtes UCL) et Ilsen Marïen (imec-SMIT-VUB) n’apporte donc pas de faits nouveaux par rapport aux données existantes (Stabel pour l’essentiel): elle les affine et les articule avec des données qualitatives sur base de 15 entretiens réalisés auprès de personnes considérées comme « à risque » sur le plan numérique: demandeurs et personnes éloignées de l’emploi; personne en situation d’illetrisme; seniors de plus de 65 ans et personnes en situation de handicap. Ce qu’il faut en retenir? Quatre Belges sur dix sont en risque d’exclusion numérique et, sans surprise, les inégalités numériques renforcent les inégalités sociales.
600.500 ménages non connectés
Mais qu’entend-on par exclusion numérique? Le paramètre le plus simple à mesurer est l’accès. Selon Stabel, 90% des ménages disposent d’une connexion Internet à domicile, la plupart du temps (88%) haut débit. Cela laisse donc sur le carreau quelque 600.500 ménages non connectés. Sans surprise également, il s’agit pour la plupart des personnes les faibles: près d’un quart des ménages (22%) vivant avec de faibles revenus n’ont pas d’accès Internet chez eux. Les personnes isolées sont elles aussi touchées: en Wallonie, 27% des personnes seules n’ont pas de connexion internet à la maison (le chiffre passe à 30% dans le cas des femmes). En Flandre et à Bruxelles, la proportion est de 19%.
Un ménage sur 3 à faibles revenus sans Internet
Sans surprise, les revenus jouent beaucoup dans la balance. Un ménage sur cinq (20%) a un revenu mensuel net inférieur à 1.500 €. 27% d’entre eux déclarent ne pas avoir de connexion internet à la maison. Le pourcentage est de 31% en Wallonie. C’est cinq fois plus que les ménages dont les revenus sont supérieurs à 1.500 €. L’âge, le niveau d’instruction et la situation socio-économique sont également des facteurs déterminants. Les personnes à niveau d’instruction faible sont aussi bien moins actives sur la toile. Plus de 22% d’entre elles utilisent peu, voire jamais, internet. Ce chiffre est de 20% en Flandre et à Bruxelles et de 26% en Wallonie.
2 à 3% des enfants scolarisés sans accès
L’Institut de statistiques estime en outre que 2% (6-11 ans) à 3% (12-17 ans) des enfants scolarisés n’ont pas d’accès à Internet, traduisez dans l’impossibilité, durant le confinement, de suivre des cours en ligne. A Bruxelles, ce pourcentage grimpe à 6% (1% en Flandre, 2% en Wallonie). 31% des personnes âgées (classe d’âge des 65-74 ans) ne vont pas sur internet. Les chômeurs et les inactifs sont eux aussi moins souvent présents sur internet: respectivement 9% et 24%.
2.200.000 de belges ont de faibles compétences numériques
L’accès n’est rien si on ne sait pas s’en servir. L’étude mesure cette capacité d’utilisation à partir du cadre européen de compétences numériques, le Digcomp, dans laquelle elle puise des activités liées à l’utilisation d’Internet ou de logiciels effectuées par des personnes âgées de 16 à 74 ans dans quatre domaines spécifiques: l’information (par exemple copier ou déplacer un fichier, joindre une annexe à un courrier électronique, chercher un bien ou un service sur Internet) ; la communication (envoyer un mail, télécharger un fichier); résoudre un problème (installer un logiciel, paramétrer une imprimante, s’identifier sur une plate-forme de type home banking ou de recherche d’emploi); utiliser une application (tableurs, traitement texte, vidéo). Est considérée comme ayant des faibles compétences la personne ayant réalisé une activité dans un seul domaine. Pour disposer des compétences de base, il faut avoir exercé au moins une activité dans chacun des 4 domaines. Pour être considérée comme ayant des compétences numériques générales plus avancées, une personne doit avoir réalisé plus d’une activité dans chacun des 4 domaines. A nouveau, les chiffres sont impressionnants: l’année passée, Stabel positionne 2.200.000 personnes au niveau faible (32% de la tranche des 16-74 ans +3% par rapport à 2016)!
Plus de 1 personne fragile sur 2 coupée de l’administration en ligne
Ainsi, 6 personnes sur 10 en Belgique auraient des difficultés à copier et déplacer des fichiers ou utiliser un traitement de texte. Reste le plus important sans doute: l’utilisation des services en ligne. Une majorité, 85%, y a recours. « Mais », expliquent les 2 chercheuses, « si les activités sont nombreuses à s’effectuer en ligne, il est intéressant de se concentrer sur l’utilisation des services essentiels, car leur non utilisation peut engendrer des discriminations en terme d’accès aux droits sociaux, aux soins de santé, aux services bancaires, renforçant ainsi les inégalités existantes. Les Belges se sont largement appropriés les services bancaires en ligne et et le e-commerce, particulièrement en Flandre. En revanche, le recours aux services publics semble stagner, et ce dans les 3 régions du pays. Et encore une fois, les personnes les moins favorisées sur le plan socio-économique sont moins enclines à utiliser ces services. 55% des personnes à faible revenu et 67% avec un niveau de diplôme peu élevé n’ont jamais fait de démarches administratives en ligne. En cause: la complexité des logiciels ou applications, l’omniprésence de l’écrit ou encore les difficultés d’accès à l’outil informatique. »