Le salon de l’inclusion numérique organisé par la ville de Charleroi le 14 septembre dernier s’est articulé autour de 6 tables rondes et de 3 conférences, d’une trentaine de stands et d’ateliers et d’une vingtaine d’opérateurs. Celle consacrée aux dispositifs d’aide aux personnes en vulnérabilité numérique est un bon instantané de la variété des services qui se sont mis en place au fur et à mesure de la montée en puissance de la digitalisation.
Course folle
Face à ce que Patrick Solau, l’un des orateurs, qualifie de « course folle au tout digital « , différents points de contacts et d’assistance au numérique se sont multipliés, du Service des Aînés ou des antennes sociales du CPAS de la ville de Charleroi aux EPN en passant par les structures associatives comme Eneo, Espace Seniors ou encore C-Prévu. Cet encadrement pour favoriser l’accès et l’usage du numérique au plus grand nombre n’empêche pas une prise de conscience de ce qui ressemble parfois à une injonction du tout digital et à une course à l’achat de nouveaux écrans au fur et à mesure de l’évolution des applications numériques. « Je le dis et le redis »s’exclame Eric Blanchart, coordinateur du réseau des EPN de Wallonie, « on n’est pas obligé de tout accepter dans cette révolution. Si on commence à réagir, les choses changeront. »
Tout le monde concerné
Une première évidence au terme du débat : le numérique déboule dans tous les secteurs de la vie et chacun, à son niveau, est concerné par « le décrochage ». Eric Blanchart: « Je suis rentré dans ce job il y a un peu moins de 15 ans. On parlait de Web 2.0, de blogs, de choses qui ont complètement disparu. Aujourd’hui, on parle d’outils comme Snapshat et TikToc avec lesquels je n’ai aucune affinité. Et donc, quelque part, je suis concerné par cette vulnérabilité. Il ne faut pas croire que c’est réservé à une catégorie de personnes précarisées. Bibliothèques sans Frontières a organisé une action de sensibilisation à Rive Gauche qui a réuni 150 personnes, essentiellement des adolescents. S’ils sont à l’aise avec TicTok, c’est une autre paire de manche lorsqu’il s’agit d’entamer des démarches d’accès à l’emploi. On a pu dire il y a quelques années que la fracture numérique était un problème générationnel, qu’elle allait se résorber avec les digital natives. Force est de constater que ce n’est pas le cas. »
Phase de réflexion
Au cœur du dispositif d’assistance et de médiation numérique, il y a les 167 EPN présents dans une commune sur deux en Wallonie. Ces Espaces Publics Numériques, on les retrouve notamment sur le territoire de Charleroi au sein de la Maison des aînés et dans les espaces citoyens du CPAS de la ville de Charleroi. Les deux structures sont en pleine réflexion sur la nature des réponses à apporter en matière d’aide au numérique. France Quiney, responsable du Service des Aînés de la Ville de Charleroi: »Nous nous adressons aux retraités, soit 25 % de la ville de Charleroi. Jusqu’avant la crise sanitaire, nous faisions surtout appel à notre centre d’activité seniors “Le Tailleny” qui a été labellisé EPN en 2017. Mais les confinements à répétition ont marqué un stop à ses activités et un nouveau centre spécialisé en informatique va naître. Nous sommes en pleine réflexion sur ce sujet, le but étant de travailler au plus près des citoyens. L’enjeu est identique pour le CPAS de Charleroi.
André Baily, Manager social : la digitalisation de démarches administratives comme une demande d’allocation de remplacements de revenus ou de GRAPA (Garantie de revenus aux personnes âgées), la prise de rendez vous dans une banque, les contacts avec le Forem, tout cela est compliqué pour de nombreuses personnes. Au sein de nos antennes sociales, on est en train de développer un service plus proche de citoyens. On est en réflexion pour faire appel à des aidants numériques qui pourraient organiser de petites formations et mettre à disposition de l’équipement comme un lecteur de carte d’identité. »
Projet pilote chez Bpost
Véronique Goffaux s’occupe du volet inclusion numérique chez Bpost : » On a toujours eu un rôle social avec le facteur qui passe à la maison, les bureaux de poste qui sont présents partout. Alors pourquoi ne pas jouer la carte de l’aide numérique ? On a organisé un projet pilote à Charleroi dans ce sens. On pourrait mettre à disposition du citoyen du matériel comme un PC, une imprimante ou un lecteur de carte d’identité mais aussi prodiguer sur rendez-vous de l’assistance pour ceux qui ont des difficultés l’administration digitale : consulter les sites comme Mypension ou Myminfin, s’inscrire sur un site, télécharger des documents administratifs. On est en train de tester tout cela : le but est d’être complémentaire à ce qui existe. Par exemple, on teste dans 6 bureaux de poste la possibilité de donner accès au service d’abonnement de la SNCB lorsque le guichet de la gare est fermé. »
Changer de paradigme
Maintenant, il faut voir jusqu’où on veut aller dans la course à la digitalisation des services. Patrick Solau, directeur du réseau associatif de Solidaris: « On ne doit pas avoir peur d’entrer en résistance. Si on accepte de subir, on va continuer à subir longtemps. Il n’est pas normal de mon point de vue qu’il faille passer à du nouveau matériel lorsque les applications évoluent. Il n’est pas normal, lorsqu’une grande banque met quelque chose en place, que 50% de la population ne s’en sorte pas. Il faudrait changer de paradigme et veiller à ce que les applications puissent dès le départ être utilisées par tout le monde. Et il est primordial pour des structures comme les nôtres de conserver des guichets humains. André Baily va dans le même sens : » Jusqu’à présent, on a tous parlé de ce qu’on met en place pour répondre à la course folle du tout numérique. La résistance peut aussi faire partie de la réponse. » Celle-ci pourra notamment passer par le recours à des systèmes alternatifs comme Linux, une plate-forme stable et gratuite et sure qu’on peut installé sur de vieux ordinateurs, comme l’explique l’un des participants qui a décidé de ne pas passer le cap de Windows 11.