De la table ronde « Comment les services essentiels peuvent-ils aider les personnes en situation de fragilité numérique » organisée dans le cadre du Salon de l’Inclusion Numérique à Charleroi en septembre dernier, 3 constats. Le premier est l’importance à apporter par les développeurs du Service Public de Wallonie à la simplicité des interfaces numériques. Le deuxième est la nécessaire montée en compétence numérique des agents en contact avec le citoyen. La troisième et c’est sans doute la plus importante : pour pouvoir aider les personnes qui sont en difficulté avec le numérique le plus crucial est d’être là, physiquement là.
Rôle sociétal
Pour Eric Goffart, l’échevin du numérique de la ville de Charleroi à l’origine de l’organisation du Salon, il faut travailler sur deux axes : digitaliser les services administratifs pour les rendre plus accessibles aux personnes à l’aise avec le numérique et accompagner les personnes en vulnérabilité, ce qui passe par la formation des personnes en contact avec la population. « A la fois, on incite les citoyens à utiliser des formulaires en ligne pour leur faciliter la vie -en tout cas pour tous ceux qui sont en capacité de le faire ; mais dans le même temps et c’est la raison de la journée d’aujourd’hui, on a un rôle sociétal qui est de dire que la ville doit être aux côtés de ses citoyens car beaucoup de gens, on le voit avec les chiffres de l’Adn, sont en rupture totale avec le numérique. Si on n’y prend pas garde, on va renforcer cette fracture. »
Agents formateurs
Être aux côtés des citoyens, c’est pouvoir répondre à leurs questions. C’est en ce sens que la ville a organisé des formations données par d’autres agents à l’intention des fonctionnaires qui sont en contact avec la population. Olivier Martin est l’un de ces formateurs. « Durant la pandémie, une personne est arrivée en pleurs car son téléphone était bloqué. La seule porte ouverte était l’hôtel de ville. Toutes les autres administrations étaient fermées. Dans le cadre de nos missions, il faut pouvoir répondre à ce type de demande. » Sans provoquer une surcharge de travail. Eric Goffart : « Il y a des inquiétudes que les syndicats nous font remonter. On craint d’être débordé, d’être tracé ou encore que le numérique ne soit utilisé pour réduire la masse de personnel. On nous prête parfois un cynisme que nous n’avons pas. Ce qu’on veut faire, c’est utiliser le numérique pour diminuer la charge administrative et permettre aux agents de consacrer plus de temps aux personnes qui en ont le plus besoin et qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent pas interagir en ligne avec les services publics. »
Élargir le cercle
Le champ couvert par les services dits essentiels dépasse le seul cadre des fonctionnaires et agents d’une ville ou une commune. Eric Goffart : « Au delà des agents de la ville, si on veut toucher un maximum de travailleurs de première ligne, il faut élargir le cercle. Il y a le CPAS, une institution phare par rapport à la problématique du numérique, il y a la société de logement de service public la Sambrienne et à côté toute une série d’administrations localisées sur le territoire de Charleroi. Le Forem a son siège dans la ville. Progressivement, on s’est dit qu’on devait sortir du périmètre administratif des services publics pour aller à la rencontre du secteur associatif : les mouvements mutuellistes, les associations actives sur le terrain de l’alphabétisation, celles qui s’adressent plus particulièrement aux seniors, aux jeunes ou encore aux familles mono parentales. »
Pour une égalité de services
Il y a un autre écueil à éviter, c’est l’option préférentielle donnée à la version numérique du service prodigué, versus le « guichet » traditionnel. Pierre Lelong Innovation, Education & Citizen Learning Manager : » Attention à ne pas déséquilibrer les services traditionnels par rapport à leur version digitale. Que font les consultants qui répondent aux marchés publics d’une ville ou une commune ? Ils formulent leur offre en pensant et concevant d’abord leurs services en mode numérique. Bien sûr le commanditaire, l’échevin ou le collège exigent un maintien des services traditionnels en présentiel mais à l’arrivée, il y a souvent de petits différentiels. Si vous choisissez l’option papier pour rentrer votre déclaration d’impôts, vous avez quelques jours en moins. Si vous entrez en contact avec votre banque au départ d’une application, vous avez accès en permanence à des services bancaires. Si vous n’êtes pas connecté, c’est une autre affaire. Il faut d’abord trouver une banque, réserver un créneau horaire, etc. Il faut vraiment être attentif à l’écart qui est en train de se creuser entre les services traditionnels et les services digitaux. »
Des interfaces numérique étudiées pour tous les citoyens
L’accessibilité des interfaces numériques proposées doit également être mise sur la table. Il est important, souligne Eric Goffart, que le SPW soit en capacité d’accompagner les villes et communes dans cette transition. « Elles le font déjà mais je pense qu’on peut aller plus loin pour que nos sites Internet et nos interfaces soient plus ergonomiques Les 262 communes de Wallonie ont besoin d’interfaces qui leur permettent de s’adresser le plus rapidement et le plus facilement possible à la population. Réduire la fracture numérique et le seuil d’accès au digital est évidemment notre responsabilité collective en tant que service public mais avoir un cadre régional nous faciliterait grandement la vie. »
Ceux qu’on n’interroge jamais
Dernier poste d’attention : les personnes qui sortent du radar. Pierre Lelong : « Il y a des gens dont on ne parle jamais. Aujourd’hui, derrière les chiffres, il y a encore 4 à 5 % de la population qu’on n’interviewe jamais dans les enquêtes sur le numérique : les populations hospitalisées, ou celle qui sont sous des régimes d’internalisation. Cela peut être les prisons, cela peut être des personnes qui n’ont pas de statut dans Fedasil. Certains vont voir leur statut s’améliorer, je pense à Fedasil. Mais les autres s’entendent souvent dire « prenez un mandataire ou alors on vous met sous administration judiciaire. Je ne voudrais pas que le numérique soit un prétexte pour réduire les droits de ces personnes. »