C’est le rêve d’Elise Degrave, Professeure à l’Université de Namur, Chercheuse en Droit public du numérique et Directrice du Master de spécialisation en Droit du numérique, qui a pris la parole avec Sylvie Pinchart, Directrice de Lire et Ecrire communautaire, lors de la matinée organisée à Namur le 7 novembre dernier par les Equipes Populaires. La thématique du jour : le droit au hors-ligne et l’accès au numérique.
La reine des normes
Pourquoi ? « Parce que la Constitution, c’est la reine des normes, le socle de base dans toute la Belgique. Si un droit fondamental est inscrit dans la Constitution, plus personne, plus aucune région ou communauté ne peut faire un recul en arrière. Pour l’instant, avec ce qui est inscrit dans les textes de loi, un gouvernement pourrait très bien revenir en arrière pour embrasser à nouveau la logique du tout numérique par défaut. »
Le comité du numérique aux Marolles
Au départ, la thèse d’Elise Degrave porte sur l’administration numérique, sur la façon dont on peut numériser les services administratifs dans le respect des droits fondamentaux des citoyennes et des citoyens, notamment le droit à la vie privée. Sa méthodologie de recherche/action l’a conduite dans le quartier des Marolles à Bruxelles, là où agit le comité humain du numérique. « J’ai trouvé un endroit magnifique de solidarité et de chaleur humaine face à un numérique qui isole et complexifie. Une participante du comité m’a dit : « Je dépends de l’état pour me loger, pour me nourrir ou pour me déplacer. Dans la relation numérique qu’il installe, pour moi un bug c’est mortifère. »
La numérisation n’est pas assumée politiquement
Effectivement le droit est là pour organiser le vivre ensemble, pas pour mettre en place des robots. « Il faut savoir qu’il n’y a aucune loi qui impose la digitalisation. Or aujourd’hui cette numérisation de la société n’a pas été débattue démocratiquement. Elle n’a pas été débattue publiquement et n’est pas assumée de manière politique. C’est même plutôt l’inverse qui se passe puisqu’on nage dans des stéréotypes comme « le numérique fait faire des économies »
Le numérique ne fait pas faire d’économies
« Si c’est le cas, où sont les chiffres? A priori, cela coûte plus que cela ne rapporte : il faut mettre en place l’outil, il faut payer les gens qui mettent en place l’outil, il faudra réparer les bugs et le jour où les avocates et les avocats se mobiliseront, il faudra que l’état paye des dommages et intérêts pour tous les dommages causés aux personnes que le numérique exclut actuellement. »
Pollution IT
« On dit aussi que le numérique est bon pour l’environnement. J’ai appris récemment qu’une conversation avec Chat GPT représente 500 millilitres d’eau. C’est quand même quelque chose dont il faut se préoccuper à l’heure où on veut mettre justement des robots conversationnels dans les administrations pour répondre à la place des agents aux citoyennes et citoyens. Je pense sans vouloir faire de procès d’intention qu’il y a un certain confort politique à se dire pas vu pas pris nous. On n’est pas trop au courant de ce qui se passe et donc on ne devra pas après être responsable des dégâts. »
Erreur 404
« L’autre raison pour laquelle le numérique s’étend de cette manière, c’est le discours ambiant du fort et faible. Si vous vous en sortez, vous faites partie des forts, du segment des « à l’aise avec le numérique » Si vous n’y arrivez pas, vous êtes faibles. Parce que vous êtes une personne handicapée ou une personne âgée ou parce que vous êtes complètement nul en informatique. Il faut déconstruire cette vision du technologisme. Le problème c’est que ces outils sont mal faits. Les logiciels mis en place contiennent beaucoup de bugs avec souvent en réponse : « On n’y peut rien « . Mais quand on se prend une erreur 404 sur l’écran et qu’on ne peut plus avancer dans la procédure, ce « on n’y peut rien » peut avoir des conséquences désastreuses. »
Faire faire le travail
« La logique qui prévaut actuellement, c’est de déplacer sur vous la charge du travail qui revient en principe à des agents administratifs dont c’est le métier. C’est comme si vous étiez à un guichet d’une commune et qu’on vous disait : je ne fais plus le job. Venez, prenez ma place, asseyez-vous devant l’ordinateur et faites la procédure vous-même. » Or la procédure est pensée pour être faite par des agents dont c’est le métier et qui sont formés pour cela. »
Saisie du Comité européen des droits sociaux
« Il faut bien garder en tête une chose, ce qu’on ne dit pas assez, c’est que le numérique, même s’il est ultra présent, n’est qu’un outil. La liberté est chevillée à une notion clé qui est le choix de l’utiliser ou pas. Mais les choses évoluent. Le 19 août dernier, 16 associations ont attaqué devant la Cour Constitutionnelle l’ordonnance Bruxelles Numérique qui vise à numériser 100% des services publics. L’Unia, l’institution publique interfédérale indépendante qui lutte contre la discrimination et promeut l’égalité et le service de lutte contre la pauvreté ont pris une initiative superbe. Ils ont décidé de saisir le Comité européen de droits sociaux. Celui-ci va donc pouvoir rendre des avis et des recommandations en ciblant la Belgique en matière de politiques de numérisation de l’administration et pouvoir dire, attention, là, ça va trop loin. En wallonie enfin, le projet de simplification administrative lancé le 3 octobre dernier prévoit je cite « La digitalisation des procédures tout en maintenant des guichets physiques Donc tout cela va dans le bon sens »
L’État numérique et les Droits humains.
Dans son livre « L’État numérique et les droits humains », Elise Degrave propose, à partir de cas réels, une enquête pour découvrir ce que fait l’État de notre double numérique et explore des solutions pratiques pour allier efficacité du numérique et protection des droits humains. A suivre dans un prochain article