Aller trouver le public là où il se trouve mais ne pas pour autant baisser la garde face à la politique du digital à tout prix. De la table ronde « Comment identifier les personnes en fragilité numérique? », il ressort une volonté marquée des acteurs de l’inclusion de ne pas se laisser instrumentaliser dans un rôle purement technique d’aidant numérique mais au contraire de travailler avec ses publics au développement d’une autonomie et d’une culture du numérique. Autour de la table, Bibliothèques Sans Frontières, Lire & Ecrire Charleroi Sud Hainaut et le Centre de ressources des EPN de Wallonie. Avec une double question: où aller chercher le public le plus vulnérable, et, in fine, que lui transmettre.
Historiquement, ce sont les EPN qui ont reçu la mission de faire « monter » les plus vulnérables dans le train du numérique. Eric Blanchart, Coordinateur des EPN de Wallonie: « On s’est immédiatement heurté à la difficulté de pouvoir identifier et trouver le public. Un public pas nécessairement confiant dans les organisations, même au niveau local, et qu’il fallait rassurer ».
Perte de droits
D’autant que l’usage de numérique se conditionne à d’autres apprentissages. Ingrid Bertrand, Chargée de projets de sensibilisation Lire & Ecrire Charleroi Sud Hainaut: « Une personne illettrée qui a une difficulté informatique va soit laisser tomber soit s’adresser à une personne physique. Alors on tombe parfois sur quelqu’un de compréhensif mais la plupart du temps, les employés n’ont pas beaucoup de temps à consacrer. Ils ont tendance à renvoyer l’utilisateur à l’écrit, au mode d’emploi, aux instructions. A un moment donné, la personne va être poussée à expliquer qu’elle ne sait pas lire. On a eu le cas d’un apprenant qui s’est entendu dire: « Mais qu’est ce que vous foutez avec une carte de banque si vous ne savez pas lire ». Je peux vous dire qu niveau de la confiance en soi quand on vous répond cela devant le guichet de la poste, devant tout le monde, on prend son sac et on s’en va, Et s’il s’agit d’une démarche qui donne accès à un droit essentiel, on s’en trouve dépossédé, C’est ainsi que le numérique peut provoquer une perte de droit. C’est là que c’est vraiment interpellant ».
Formations de formateurs
Comment toucher ce public pour lui permettre de franchir le cap? Justine Cocset, Program Manager Digital Literacy: « Chez BSF, on déploie pour la majorité des activités de formation de formateurs. Notre approche consiste à aller voir les professionnels de première ligne, ceux qui sont en contact direct avec les publics vulnérables. Ce ne sont en aucune manière des spécialistes des technologies. Le plus souvent, ils ne sont pas formés à l’accompagnement numérique. Leur intitulé de poste ne fait pas écho à cette fonction là. Je pense aux bibliothèques, aux travailleurs associatifs, aux assistants sociaux ou encore aux agents de CPAS. Cette logique de formation de formateurs vient de l’idée qu’il faut aller là où le public se trouve, dans les endroits qu’il fréquente, C’est là où existe déjà un lien de confiance, une écoute, un échange préexistant qu’on pourra identifier les difficultés numériques et proposer un accompagnement. »
Hors du radar
Il y a aussi le public qui « sort » du radar, comme les Neets. Stéphanie Kleinen, Training Manager BSF : « Depuis près d’un an, nous testons une autre démarche en nous adressant à des citoyens bénévoles qui sont eux dans cette frange des personnes relativement aisées avec le numérique et qui peuvent rentrer en contact avec des personnes qui justement ne sont pas localisées dans un endroit précis. En paralllèle des formations qui adressent les professionnels de première ligne, BSF propose des formations plus courtes qui adressent ces bénévoles. On travaille aussi à des formats d’intervention plus directs. On imagine des permanences, des actions dans les lieux de passage grand public ou encore du porte à porte. »
Non au tout digital
0n réfléchit aussi à la posture dans laquelle les organisations sociales et culturelles se placent en « poussant les gens dans le train ». Stéphanie : « On se sent souvent assis entre deux chaises. En tant qu’association, on vient soutenir les publics qui sont en difficulté mais quelque part, en les formant, on vient renforcer le discours ambiant du tout numérique en faisant en sorte qu’un plus grand nombre développe ce type d’usage. Je pense qu’il faut nuancer notre position. On peut être à l’aise avec le numérique sans pour autant être d’accord avec le tout digital. Ce n’est pas parce qu’on aide les gens à se débrouiller et accéder à leurs droits qu’on justifie le contexte qui a généré ce besoin, Notre ambition, c’est dépasser le stade de la consommation et faire en sorte que le citoyen soit plus actif et critique. Former à l’usage du numérique, cela peut permettre à un plus grand nombre de remettre en question le tout au numérique. »