C’était déjà prégnant avant la crise sanitaire. L’après Covid a fait exploser les compteurs. De plus en plus, les travailleurs sociaux voient leurs publics désarçonnés par des procédures d’accès aux services administratifs uniquement disponibles en ligne. Face à cette lame de fond, le secteur associatif se mobilise en faveur d’un numérique inclusif et humain.
Des guichets humains, pas des machines
Mardi dernier 10 octobre, une centaine d’associations bruxelloises, avec à leur tête le mouvement Lire & Ecrire, ont redi leur crainte et leur refus de voir disparaître des accès humains (guichets et permanences téléphoniques) dans la foulée du projet d’ordonnance Bruxelles Numérique. La manifestation a réuni plusieurs centaines de personnes (1000 selon Lire Et Ecrire, 400 selon la police). Ce n’est pas un acte isolé. Début février 2021, Lire & Ecrire Brabant wallon a co-signé avec une quarantaine d’associations actives sur la Province une carte blanche tirant la sonnette d’alarme face à digitalisation des services 1ère ligne. Partout, les acteurs de l’inclusion numérique ont le sentiment d’être face à un rouleau compresseur, celui du numérique par défaut.
Digitalisation à marche forcée
Pour Anne Coppieters, Directrice générale Lire Et Ecrire Bruxelles, ce n’est pas le numérique qui est en cause. C’est le risque de la disparition d’une alternative humaine à l’accès aux services publics essentiels. Le mouvement d’éducation populaire Lire Et Ecrire est présent sur l’ensemble de la Fédération Wallonie Bruxelles, avec 8 régionales en région wallonne et une antennne sur la région bruxelloise. Depuis quelques années, l’organisation doit faire face à une lame de fond.
« Déjà avant la crise sanitaire, nous constations que notre public était de plus en plus impacté par ce qu’on appelle la numérisation des services publics d’intérêt général. En quelque sorte, nos formatrices et nos formateurs sont en train de se transformer, contraint(e)s et forcé(e)s, en sous-traitant(e)s numériques de l’État. »
Non recours au droit: un concept devenu réalité
« Car c’est vers elles et eux que nos apprenant(e)s se tournent lorsqu’elles/ils ont de grosses difficultés avec les procédures administratives en ligne qui leur sont imposées. Dans l’après Covid, ces difficultés ont explosé. Ce que nous appelons le non recours au droit est passé du stade de concept à celui d’une réalité pour des gens qui n’ont plus accès à leurs droits fondamentaux pour des raisons purement techniques. » C’est dans ce cadre que, consulté par les autorités bruxelloises dans le cadre du projet de l’ordonnance Bruxelles Numérique qui prévoit la digitalisation obligatoire de l’ensemble des services publics sur la région bruxelloise, le mouvement Lire & Ecrire a demandé à ce que soit couplé à celle-ci la garantie formelle du maintien de guichets humains et de permanences téléphoniques.
Non à l’injonction numérique
« A Bruxelles, c’est Actiris, les CPAS, les communes et les ASBL communales qui sont concernées. En Wallonie, la tendance de fond est identique. Hors toutes les études montrent qu’en plus de publics particuliers comme le nôtre, près d’un belge sur deux n’est pas à l’aise avec le numérique lors des démarches administratives. On veut éviter que ne s’impose le numérique par défaut. » L’action de Lire Et Ecrire a été largement relayée et épousée par le secteur associatif. Le collectif compte maintenant plus de 200 associations. Après une carte blanche publiée dans la Libre du 14 novembre 2022 et une première manifestation le 18 avril, Lire Et Ecrire a remis le couvert ce 10 octobre dernier avec un rassemblement de plusieurs centaines de personnes (1000 selon Lire Et Ecrire, 400 selon la police). Anne Coppieters : « Le texte du projet d’ordonnance a été retoqué par la Chambre d’avis, l’UNIA et le Conseil d’État. Toutes les instances abondent dans notre sens et le mouvement prend de l’ampleur ».
Placer l’humain au centre
Reste que le texte est passé en troisième lecture et sera examiné en commission parlemenaire puis soumis au vote du Parlement bruxellois. « Nous allons donc continuer à travailler pour clarifier ce texte et y voir figurer noir sur blanc une obligation parallèle à la digitalisation de l’ensemble des services: celle de garder l’humain au centre du débat et d’imposer le maintien de guichets physiques et de permanences téléphoniques. A nos yeux, jamais une machine, fut-elle artificellement intelligente, ne pourra répondre avec efficacité et chaleur à des problèmes et des situations humaines et administratives de plus en plus complexes ».